Alors que la télévision et le cinéma sont maintenant acceptés par la majorité, le jeu vidéo est considéré comme la bête noire du divertissement depuis plusieurs années. De plus, comme vous devez déjà le savoir grâce à cet article, l’Organisation Mondiale de la Santé a récemment reconnu le trouble du jeu vidéo comme une maladie. Néanmoins, les jeux vidéo pourraient servir d’outils thérapeutiques pour soigner certaines maladies. Certains médecins, en collaboration avec des développeurs de jeux vidéo, créent des jeux qui favorisent la communication ou la motricité de leurs patients, ou encore qui permettent de détecter des symptômes précoces.
Un outil pour détecter et soigner les maladies.
Harimata est une entreprise polonaise qui cherche à favoriser la détection précoce des troubles du développement et du comportement chez les enfants. En collaboration avec Jonathan Delafield-Butt, professeur et chercheur en psychologie à l’Université de Strathclyde, ils créent une application pour tablette : PLAY.CARE. Se basant sur le fait que les enfants atteints du trouble du spectre de l’autisme ont une façon particulière de bouger les mains, l’application va enregistrer les mouvements des enfants de 3 à 6 ans lorsqu’ils jouent sur un jeu éducatif. Tous les mouvements sont alors étudiés par un médecin formé à dépister la maladie. Ce test a une sensibilité (chance de détecter la maladie lorsque le sujet est malade) de 89% et une spécificité (chance que le test soit négatif lorsque le patient n’est pas malade) de 88%. Malgré ses résultats imparfaits, ce test permet un dépistage précoce du trouble et permet de le traiter plus efficacement.
Visuel du jeu Toap Run
À l’institut du cerveau et de la moelle épinière à Paris, le jeu Toap Run est utilisé pour aider les patients atteints de Parkinson. Pour guider la taupe et ramasser les pièces qui se trouvent sur son chemin, le sujet va devoir faire d'amples mouvements difficiles. Si le jeu a été choisi pour ce genre d’exercice et non les thérapies classiques, c’est parce que le fait de jouer à un jeu-vidéo libère de la dopamine. La dopamine est très importante dans le processus moteur et la maladie de Parkinson a pour particularité de diminuer la production de ce neurotransmetteur, ce qui entraîne une baisse de la motricité. Toap Run va alors aider le patient à retrouver sa motricité grâce à la stimulation de la production de dopamine, couplée aux mouvements amples obligatoires pour réussir l’exercice. Les neurologues qui suivent les patients sur cet exercice ont remarqué une amélioration sur la motricité et les fonctions cognitives des patients.
Le jeu est aussi un outil pour aider psychologiquement.
Parfois, des jeux qui n’ont pas été conçus pour un usage thérapeutique sont utilisés par des professionnels de la santé. Dans son livre “Et si les écrans nous soignaient”, Michael Stora nous raconte comment il a utilisé des jeux dans le cadre d’un suivi psychologique de jeunes enfants au centre médico-psychologique de Pantin. En 2002, il a décidé d’utiliser le jeu Ico pour accompagner des enfants atteints de trouble du comportement (troubles de l’attention, agressivité, instabilité). Il explique alors ce choix grâce à la symbolique des personnages.
« Un enfant pas comme les autres (Ico), une gentille princesse (Yorda), une méchante reine et ses soldats représentés par des ombres sont les différents protagonistes du jeu. Le décor est un château (forteresse vide) dans lequel Ico est emprisonné : né avec des cornes, il a été banni de son village et est enfermé dans un sarcophage. […] Comme avatar, Ico est très vite investi par les enfants. Ces derniers étant eux-mêmes en souffrance, ils se vivent souvent comme des « enfants à cornes », considérés comme diaboliques parce qu’ils sont pris en charge par des services de psychiatrie. Issus de milieux sociaux précaires, soumis à la violence dans leur foyer, ils s’identifient aisément au personnage. Yorda, au teint livide et à la démarche fragile, inspire les enfants de telle sorte qu’ils l’identifient à leur mère, le plus souvent déprimée ou immature. »
C’est alors que l’on comprend tout le choix du jeu. Ce dernier a pour objectif de plonger l’enfant dans un univers proche du sien où il pourra s’exprimer via des actions ou des mots.
« Suivant les cas, les enfants reproduisent avec Yorda la relation qu’ils entretiennent avec leur propre mère : cela se manifeste par de l’empathie ou de l’agressivité. […]Dans ce jeu, l’enfant manipule symboliquement son double narcissique et extériorise ses conflits inconscients. »
Michael va alors mettre en scène un enfant appelé Rachid. Il va le suivre et observer ses actions et réactions à travers le jeu.
« Rachid a tout de suite assimilé la figure de Yorda à celle de sa mère. Placé dans une famille d’accueil à l’âge de 3 ans et demi, avec sa sœur d’à peine 1 an, Rachid a ce mélange troublant de l’apparence d’un jeune enfant et du regard de quelqu’un qui a vu et vécu des situations le plaçant en empathie avec des adultes en grande souffrance. Sa mère est toxicomane et son père absent, car il est incarcéré. C’est justement parce qu’un jour, il a sauvé sa mère d’une overdose d’héroïne en prévenant les voisins, qu’il a été placé en famille d’accueil. […] Ces enfants souffrent de blessures narcissiques majeures, mais restent saufs tant qu’ils occupent une position de soignants. »
Ico et Yorda, les deux personnages principaux du jeu
Rachid va alors très vite s’identifier au jeu et faire ressortir son côté protecteur.
« Rachid a très vite investi le jeu Ico en devenant la locomotive du groupe d’enfants. […]Pour un autre garçon du groupe, dont la mère étouffante souffrait de troubles obsessionnels compulsifs, Yorda était un boulet dans l’avancée du jeu. Au contraire, Rachid, lui, a pris un plaisir intense à faire éviter à Yorda les pièges du jeu et à la conduire hors de la forteresse. Elle était, pour lui, l’incarnation de sa mère toxicomane, d’autant plus que son teint exsangue facilitait cette projection. »
A tel point qu’il aura du mal à laisser le jeu aux autres enfants.
« Chaque enfant avait quinze minutes pour jouer. L’enfant suivant prenait le jeu là où le précédent était parvenu. Lorsque Rachid devait laisser sa place, il exprimait alors, dans sa manière de se comporter, sa panique à l’idée que quelque chose puisse arriver à Yorda. Lors d’une séance, ce fut au tour de Rachid de jouer alors que Yorda et Ico venaient tout juste d’être séparés par la reine mère. […] Rachid, comme désespéré, faisait systématiquement sauter son avatar dans le vide. Suicide virtuel : le jeu semblait ne plus avoir d’intérêt pour lui. Pour la première fois, les autres enfants l’encouragèrent à réussir coûte que coûte. Rachid réussit alors à avancer dans la mission finale, sans pour autant savoir qu’il allait bientôt retrouver Yorda. Le plus intéressant, c’est qu’il fut presque déçu lors des retrouvailles, car il avait eu du plaisir à réussir dans le jeu pour lui-même et non pour sauver Yorda. »
Et c’est à partir de cette séance que tout changea. Rachid n’était plus l’enfant qui est prêt à tout pour sauver sa mère quitte à perdre la vie. Il a appris qu’il doit vivre aussi de son côté. Malgré que la vie de sa mère soit importante, sa propre vie a une importance et il a appris à se libérer de responsabilités qu’un enfant de 5 ans ne devrait pas avoir.
« Un mois plus tard, la psychologue de l’Aide sociale à l’enfance m’apprit que, pour la première fois, Rachid avait pu dire à sa mère toxicomane qui l’appelait au téléphone, le plus souvent pour se plaindre : « Écoute, maman, tu me déranges, je suis en train de manger, rappelle-moi quand tu iras mieux ! »
Cet exemple traduit l’importance pour certains enfants d’investir l’acte ou l’objet extérieur pour éviter toute infraction de la pensée. La médiation thérapeutique par le jeu vidéo a pleinement réussi à Rachid grâce à la narration du jeu, étalée sur une année, et grâce au groupe lui-même. »
L’histoire, différente de la réalité, mais proche de leurs vies, permet aux enfants de voir leurs problèmes différemment et de s’en libérer. Malgré tout, Michael alerte le lecteur à la fin du chapitre : « Mais n’oublions jamais que l’aire du jeu n’est qu’une aire de simulation et d’entraînement. Sans reprise par la parole de ce qui a été ressenti, l’effet thérapeutique restera moindre. »
NB : Ces citations ne sont que des extraits d’un chapitre. Si vous êtes intéressés par le sujet, je vous invite à lire l’ouvrage en entier.
Les jeux vidéo thérapeutiques, pourquoi ça marche ?
Les avantages des jeux thérapeutiques par rapport à d’autres traitements sont nombreux. Le premier est que le jeu se comporte comme un super espion. Couplé à une caméra, il permet aux professionnels de santé d’obtenir de nombreuses données sur le patient et d’observer plus facilement des améliorations. De plus, il s’auto-ajuste au patient : de nombreux niveaux de difficulté sont proposés et le jeu est capable de s’adapter automatiquement s’il remarque que le joueur est fatigué par rapport aux sessions précédentes. Des études de la neurologue Simone Khun à l’institut Max Planck de Berlin ont démontré que les jeux vidéo ont un impact sur la plasticité du cerveau. Lors de sessions régulières de jeu, trois régions du cerveau vont subir des modifications : le cortex préfrontal, l’hippocampe et le cervelet, qui sont respectivement responsables de la planification stratégique, la navigation dans l’espace et de la motricité fine.
Les jeux sont ainsi de plus en plus utilisés par de nombreux médecins comme compléments de la thérapie classique. Il n’est pas encore possible de soigner un patient uniquement avec le jeu et ce dernier nécessite toujours la présence d’un médecin pour accompagner le patient et analyser les données. De plus, la majorité des thérapies citées dans cet article ont été testées sur des patients non-adeptes du jeu. Ainsi, est-ce aussi efficace sur un joueur habitué ? Pendant que des médecins étudient l’addiction aux jeux, d’autres les utilisent pour soigner. Nous pouvons espérer que ces thérapies aideront à changer l’image du jeu sur le long terme.