Lorsque l’on découvre quelque chose pour la première fois, nous devons en apprendre les bases afin de mieux l’utiliser ou l’apprécier. Les appareils électroniques sont toujours accompagnés d’une notice, sans quoi nous pourrions être déboussolés lors de la première utilisation. De même, nous apprenons d’abord à frapper la balle avant d’apprendre les stratégies complexes du football ; et une maîtrise du patinage est recommandée pour jouer au hockey sur glace. Mais sur un sujet tel que les jeux vidéo, chaque jeu est une nouvelle expérience. Comment font les développeurs pour proposer une expérience agréable aux néophytes n’ayant jamais touché une manette, sans rendre le jeu ennuyant pour les joueurs confirmés ? Parlons de level design.
Qu’est-ce que le level design ?
Le level design (littéralement « conception de niveau » en français) est l’ensemble des étapes permettant la création d’un niveau. Des ennemis aux décors, tous les objets qui peuvent interagir avec le joueur sont placés par un level designer. Il travaille en collaboration avec le game designer (concepteur de jeu) qui a la charge de caractériser les éléments du gameplay : règles, objectifs, difficulté… Ensemble, ils créent les niveaux dans lesquels le joueur va évoluer, dont le plus important de tous : le premier niveau.
Pour des raisons de praticité et de clarté et parce que les frontières entre les deux métiers sont assez floues d’un éditeur à l’autre; je considérerai le game design faisant partie intégrante du level design pour le reste de cet article.
Le premier niveau
Le premier niveau est le plus important d’un jeu. Il introduit l’histoire ainsi que les bases du gameplay et c’est le premier contact qu'a le joueur avec ce nouvel univers. Il se doit d’être réussi afin de garder l’intérêt du joueur. Si ce dernier n’arrive pas à passer une difficulté ou s’il n’a pas compris l’objectif du jeu, il est très probable qu’il abandonne et ne revienne pas sur ce dernier.
Pour présenter le jeu au joueur, plusieurs écoles existent. L’une d’elles consiste à partir sur un niveau simple sans indications, mais qui est très intuitif à la manière du premier Super Mario Bros sur NES. Notre personnage, Mario, apparaît à la gauche de l’écran, nous incitant à aller vers la droite. Nous rencontrons alors rapidement des objets nous confirmant que nous sommes dans la bonne direction et que l’objectif final va sûrement être après ces obstacles. Ce premier passage est constitué de blocs flottants et d’un personnage marchant vers nous. Son air inquiétant et le fait qu’il nous tue dès qu’on le touche nous confirme alors que c’est un adversaire. Il va donc falloir trouver une solution pour le contourner. Jouant sur une manette de NES, le joueur a alors deux boutons à sa disposition (si l’on omet la croix directionnelle et les boutons de pause) et trouve donc rapidement la touche de saut. Saut qui peut alors servir à casser les blocs mystère qui clignotent et renferment une pièce ou un champignon. Contrairement au monstre rencontré précédemment, ce champignon se déplace vers la droite et les objets sont placés de tel sorte que nous sommes incités à les prendre. Ainsi, tout le premier niveau est construit pour nous apprendre à jouer sans donner la moindre indication écrite au joueur.
Si cette manière de présenter un jeu paraît idéale, elle demande des feedbacks visuels et sonores clairs et facile à comprendre. Le joueur doit savoir à tout moment si son action est utile ou non. Prenons l’exemple du Portal Gun dans Portal. Un portail lancé sur une zone blanche s’ouvre et fait un bruit d’ouverture doux. Au contraire s’il est lancé sur une surface non adaptée, le portail ne s’ouvre pas et est accompagné d’un bruit sec. Le joueur comprend donc rapidement qu’il peut créer des portails uniquement sur les surfaces blanches que lui offre le jeu. Les cubes, quant à eux, sont introduits dans une salle ne contenant qu’un socle. Si le cube paraît inutile seul, il suffit de le placer sur le socle pour qu’une lumière orange s’allume et qu’un bruit de porte se fasse entendre. Si le cube est enlevé, la lumière s’enlève et la porte se referme. La mécanique des cubes est alors comprise par tous.
Mais cette manière de construire le premier niveau n’est pas forcément la plus adapté à tous les types de jeux. Dans le Beat them all Cuphead, la difficulté est très exigeante dès les premiers niveaux et toutes les mécaniques sont importantes pour la surmonter. Les développeurs ont donc fait le choix d’insérer un tutoriel sans ennemis. Toutes les mécaniques sont expliquées une à une à l’aide de petits textes et le joueur peut prendre le temps de s'entraîner s’il le souhaite. Cela permet au joueur de relativiser et de réfléchir à ce qu’il vient d’apprendre s’il meurt sur le boss qui apparaît dès le second niveau. Et justement, un boss au second niveau, est-ce une erreur de level design ?
Un gameplay adapté au monde que l’on propose, mais aussi au joueur
Étant donné la popularité de Cuphead au moment de sa sortie, je ne pense pas que le boss au second niveau soit une erreur. La différence avec d’autres jeux moins difficiles est que le public cible est différent. Le titre fut acheté majoritairement par des joueurs confirmés qui recherchaient un challenge dans le jeu et non par des débutants. La campagne de communication du studio fut donc réussie car ils ont atteint leur public cible.
Si le premier niveau d’un jeu est important, des éléments comme l’environnement ou le public cible sont à prendre en compte. Un jeu destiné à l’éducation des enfants ne peut pas se dérouler dans un environnement où les crimes et la drogue sont légions. Le gameplay doit aussi être adapté à l’environnement qui l’encadre. Par exemple, un jeu d’infiltration doit se passer dans un lieu avec beaucoup d’éléments pour se cacher : une base, une forêt, une ville… Dishonored en est le parfait exemple. Des égouts, une prison, une usine, des bureaux ; tant d’endroits où se faire discret est facile et intuitif. Mais le jeu fut aussi apprécié par de nombreux joueurs pour les différents types de gameplay qu’il offre : qu’on veuille être un fantôme pacifiste, un assassin discret ou encore une brute qui ne connaît pas la furtivité ; libre à nous de choisir et de profiter du jeu et de son ambiance. Dan Taylor, ancien Level designer chez Square Enix (maintenant Design Director chez Thunderbox Entertainment) a dit lors de sa conférence au GDC 2013 :
« Un bon level design est un level design qui laisse le joueur choisir sa manière d’aborder le problème, sans rien lui montrer »
Mais parfois, le public cible peut être très précis. C’est le cas de Splasher, un jeu de plateforme conçu pour le speedrun. Les niveaux sont construits de telle façon que tout est en rythme et bien cadencé si l’on ne s’arrête pas. En cas d’hésitation de la part du joueur, les obstacles vont se désynchroniser et le niveau sera plus difficile. Pour permettre de découvrir et d’apprécier le jeu, des checkpoints réguliers sont disponibles pour se remettre en rythme. La difficulté de jeu est donc plus basée sur le rythme et l’exécution que sur les niveaux en eux-mêmes, le personnage débloquant différents outils pour varier sa manière de se déplacer.
Une difficulté évolutive ou non
Dans Splasher, la difficulté est croissante et le joueur doit adapter son rythme de jeu avec les différents outils que l’on débloque au fur et à mesure. De nombreux jeux utilisent cette difficulté croissante afin de proposer un challenge au joueur et d’éviter toute lassitude. Pour cela certains level designers imaginent leurs niveaux comme un assemblage de briques. Un ennemi basique sera une brique de grade 1, tandis qu’un ennemi difficile à battre sera de grade 10. En additionnant les grades de tous les obstacles d’un niveau, le level designer maîtrise donc la difficulté et peut gradue progressivement son jeu. Plus le score est bas, plus le niveau est facile et inversement.
Mais parfois, le level designer va proposer au joueur les mêmes ennemis tout au long du jeu, et oblige le joueur à s’adapter à son environnement afin de progresser. C’est le cas du jeu My Friend Pedro, jeu Shoot’em up à la troisième personne. Dans ce titre, la difficulté n’est pas dans les ennemis, mais plutôt dans la manière de les aborder. Entre les panneaux réflecteurs de balles, les leviers et les trampolines, le joueur devra s’adapter aux outils que lui donne le jeu pour avancer.
De la même manière, le jeu Furi est un boss-rush (le jeu n’est constitué que de combats de boss) où tous les combats sont de difficultés similaires mais c’est la façon de les approcher qui change. Chaque boss possède un point faible que nous devons trouver à l’aide de notre arsenal. Un des adversaires devra être battu grâce à notre pistolet, un autre par la contre-attaque et ainsi de suite. Les combats ne se ressemblent pas et aucune lassitude ne s’installe bien que le jeu ne soit que des affrontements de boss.
Garder le joueur intéressé
Et c’est là toute la force du gameplay de Furi, le jeu garde notre attention par le nouveau challenge que sera chaque adversaire mais aussi par son histoire intrigante. Un bon jeu est un jeu qui nous plaît par son gameplay, mais aussi, qui arrive à nous conquérir par ses challenges et objectifs. Il est important de proposer des objectifs et récompenses réguliers afin que le jeu ne paraisse pas insurmontable. Dans la série Mario par exemple, notre objectif est systématiquement d’atteindre le château suivant pour sauver la princesse Peach. Chaque sauvetage infructueux nous pousse à aller plus loin car les niveaux sont agréables à jouer et l’objectif paraît accessible. Imaginez maintenant que Bowser emmène Peach directement dans le huitième monde dès la première cinématique. Seriez-vous suffisamment motivés pour parcourir les huit mondes sans objectifs intermédiaires ?
L’histoire peut donc avoir une importance capitale dans le level design. Une aventure bien ficelée nous apporte des objectifs réguliers et pousse le joueur à connaître la suite. C’est ainsi que des jeux comme Ori and the Blind Forest arrivent à nous faire passer quatre fois par le même chemin sans même qu’on s’en aperçoive. Chaque nouveau challenge réussi est récompensé par un pouvoir nous donnant accès à des zones inatteignables auparavant. Certains décors paraissent mystérieux en début de partie mais dévoilent leurs secrets alors que l’on y repasse après quelques heures de jeu et une meilleure compréhension de l’univers et de son histoire.
La complétion
Il arrive de vouloir continuer de jouer à un jeu même après avoir fini son histoire. Les développeurs ont alors plusieurs solutions afin de rendre le jeu attractif même lors d’une seconde partie. La première est d’offrir une difficulté plus importante ou un « new game + » afin de proposer un challenge bien que le joueur connaisse toutes les mécaniques de jeux. Sinon, le level designer peut proposer des succès dont la réalisation est difficile bien que la difficulté du jeu ne change pas. Il peut par exemple proposer au joueur de finir le jeu sans mourir, ou de finir sans prendre d’améliorations.
Ces challenges supplémentaires sont maintenant devenus une vraie valeur ajoutée par les joueurs que l’on appelle les « completionists » (joueurs souhaitant finir un jeu à 100%) et font partie intégrante du level design. Entre collectibles difficiles à atteindre et salles secrètes, les niveaux sont imaginés aussi bien pour les joueurs souhaitant vivre une aventure unique que pour les joueurs désireux de challenges en tout genre.
Devenir level designer, à la portée de tout le monde ?
Le level design est un casse-tête difficile où de nombreux facteurs doivent être pris en compte. De nombreux tests sont effectués avec des joueurs qui correspondent au public cible, afin de vérifier si le jeu est correctement équilibré, et ce, tout au long de sa création. Le jeu doit répondre aux critères que s’est fixé le level designer, ces derniers allant de la cohérence de l’histoire par rapport au level design, jusqu’à l’accessibilité du titre à tous les joueurs quel que soit leur niveau et leurs capacités.
Pourtant, un jeu fut récemment créé par une intelligence artificielle et de plus en plus de jeux proposent des éditeurs de niveaux qui permettent à la communauté de créer de nouveaux niveaux. Il existe même des jeux basés que sur les créations de la communauté comme Super Mario Maker. Et si ce jeu est une réussite, c’est justement grâce à sa communauté. Chaque niveau est détaillé par des statistiques permettant de connaître la difficulté du niveau. Le joueur sait alors qu’un niveau avec un faible taux de réussite est très difficile et il peut donc choisir un niveau correspondant à ses capacités.
Mais de tels concepts ne sont réalisables que lorsqu’une équipe de level designers a précédemment testé et validé l’ensemble des obstacles disponibles dans l’éditeur et qu’un niveau ne peut pas être publié s’il est impossible de le finir. Le level design est un art qui demande une connaissance importante du genre recherché et de nombreux tests d’équilibrage. Alors, d’après vous, qu’est ce qui fait un bon jeu ?
Sources :
Les jeux vidéo doivent-ils être plus faciles ? Game Anatomy - Doc Géraud
[Touch my level One] #22 Wario Land 2 - Ashikara