Nous le savons bien, le jeu vidéo a la réputation d'être un divertissement violent, donnant à voir des images d'une grande brutalité. Cette réputation a d'ailleurs largement été véhiculée par les médias traditionnels qui, pendant de longues années, ont accusé l'industrie vidéoludique d'encourager l'agressivité de ses consommateurs. Si bons nombres d'études ont été menées pour démentir cette hypothèse, il n'en demeure pas moins que, d'un point de vue objectif, la démonstration d'actes violents ne sont pas si rares dans les jeux vidéo. Plusieurs licences sont d'ailleurs réputées pour leur contenu d'une grande férocité. Au programme : décapitations survoltées, démembrements à la chaîne, craquement d'os retentissants, éviscérations enragées, et bien d'autres joyeusetés ! Mais pourquoi proposer des jeux d'une telle violence sur le marché ? Et surtout, comment expliquer leur succès ?
Le gore dans les jeux vidéo, c'est récent ?
Avant toute chose, il est bon de rappeler que le jeu vidéo n'a absolument pas le monopole du gore. Ce genre a d'abord été popularisé par le cinéma d'horreur et se démarque par sa violence explicite et ses mises à mort sanglantes, censées provoquer un sentiment d'épouvante et de dégoût chez le spectateur. Parmi un grand nombre de films notables, nous pouvons évoquer le controversé Cannibal Holocaust (1980) de Ruggero Deodato, la saga des Saw, ou encore Braindead (1993) de Peter Jackson. Toutefois, bien que le gore soit souvent présent dans les films d'horreur, il arrive que ce dernier se manifeste ailleurs, dans des longs métrages dramatiques, d'action, de guerre... On pense notamment à l'esthétique particulière de Quentin Tarantino qui, bien fréquemment, donne à voir des scènes marquées par des flots explosifs d'hémoglobine. Ce cinéaste est généralement applaudi par l'opinion publique, salué par la critique et est considéré aujourd'hui comme l'un des grands noms du cinéma.
Dès le début, les jeux vidéo gores ont donc largement bénéficié de cette influence cinématographique. Un exemple notable est celui de Massacre à la tronçonneuse (1982), jeu sorti sur Atari 2600 et inspiré du film éponyme. Ici, le joueur incarne Leatherface et doit tuer le plus de jeunes filles possibles en évitant les obstacles sur sa route. Bien que le jeu ne soit pas singulièrement explicite dans sa démonstration de la violence, le propos et les inspirations n'en demeurent pas moins cinglants.
D'autres figures du cinéma d'horreur furent utilisées pour mener à bien certains projets vidéoludiques. Nous pouvons notamment citer le jeu Splatterhouse (1988) qui, par bien des aspects, emprunte plusieurs codes du fameux film Vendredi 13 (1980) de Sean Cunningham. Ici, on donne à voir la violence, les graphismes sont plus aboutis, les impacts et la sensation de puissance se font ressentir...
Évidemment, le jeu vidéo ne pouvait pas s'inspirer éternellement des grands noms du cinéma pour exploiter tout son potentiel. Les graphismes s'améliorant et l'industrie s'imposant de plus en plus, de nouvelles licences firent leur apparition. Officiellement détachés de toute réalisation cinématographique connue, des jeux comme Mortal Kombat (1992) ou Doom (1993) firent leur apparition sur le marché, provoquant le débat, la crainte, mais aussi l'engouement de plusieurs joueurs. Licences qui, par ailleurs, demeurent très populaires de nos jours avec quelques millions d'exemplaires vendus pour les derniers opus.
Est-ce le gore qui pose réellement un problème ? Ou son intégration dans les jeux vidéo ?
Nous aurions envie de répondre « Un peu des deux... ». Déjà, parce qu'il est certain que l'esthétique du gore ne peut satisfaire tout le monde. Certains détourneront le regard face à des films donnant à voir des scènes de torture tandis que d'autres y trouveront une entière satisfaction. En bref, nous savons bien que l'esthétique du gore ne peut pas faire l'unanimité, ce qui est finalement assez naturel en vue de son parti pris. Seulement, il est certain que le regard sur ce genre se fait d'autant plus critique lorsqu'il est intégré aux jeux vidéo. Car rappelons que, pendant de nombreuses années, ces derniers ont été considérés comme un divertissement réservé aux enfants. Cela s'explique notamment par la popularisation des jeux vidéo dans les foyers, initiée notamment par Nintendo durant les années 80. Les jeux vidéo à contenu violents sont donc pointés du doigt, accusés d'incitation à la barbarie et de traumatismes auprès des jeunes. Pourtant, il est certain que ce type de jeu n'est absolument pas destiné à des petites têtes blondes. C'est la raison pour laquelle il existe une classification des jeux par tranche d'âge ainsi que des pictogrammes informant le consommateur sur leurs contenus (sexe, violence, drogue, etc.). Il est utile de rappeler que si un enfant se trouve choqué face à une scène de Resident Evil, ce n'est ni la faute du jeu, ni du développeur, mais bien de la personne lui ayant mis la manette entre les mains malgré l'imposant « PEGI 18 » disposé sur son boîtier.
Pourquoi le gore est-il si populaire auprès des joueurs ?
Ce n'est un secret pour personne : plus une chose est considérée comme tabou, plus elle attire. C'est la même chose avec la violence et le gore. Si les gens apprécient tant l'horreur, c'est parce que c'est subversif, en dehors des codes et des normes de notre société. S'abandonner à l'épouvante peut être vu comme une forme de contestation, ou tout du moins comme une prise de liberté par rapport à ce qui est imposé dans notre quotidien. Toutefois, cela ne fait évidemment pas de ces personnes de dangereux psychopathes. Il est plus rassurant d'affronter le gore dans les jeux vidéo que dans la vraie vie, puisqu'il s'agit d'un univers fictif qui ne nous implique pas directement. En cela, ce n'est pas parce qu'une personne ricane face à quelques headshots bien placés dans Fallout qu'elle esquissera ne serait-ce qu'un sourire face à des mises à mort dans la vie réelle. Les joueurs savent que ce qu'ils vivent dans un jeu n'est pas réel, qu'aucune personne n'a véritablement souffert et que cela a été pensé comme un divertissement. À partir du moment où cela implique de véritables personnes, les images brutales prennent une autre dimension, alors bien éloignée de cette notion de fun et d'amusement.
Dans certains cas, il peut faire office de défouloir. En effet, certaines licences comme God of War procurent un véritable sentiment de puissance et d'invulnérabilité. Par ailleurs, nous ne pourrions plus imaginer God of War autrement que comme un jeu à la violence exacerbée. Nous parlons tout de même de Kratos, Dieu de la guerre, qui met à mort d’autres dieux dans une rage sans pareille. Ici, le jeu promet des affrontements spectaculaires et grandioses… Pas des combats réalistes se terminant par un simple coup de poing.
Cette démonstration de la violence, ces grands élans de brutalité sont une forme de lâcher prise et de décompression pour le joueur. Cela pourrait s'apparenter à ce qu'Aristote appelle la « catharsis », et qui se caractérise par une purgation des émotions et des passions au-travers d'une imitation. Si, dans sa Poétique, il est question de tragédie, l'idée d'une libération des pulsions par le biais d'une représentation peut tout à fait être applicable aux jeux vidéo. En cela, après s'être défoulé sur un beat them all bien sévère, certains y trouveront une forme de détente et de satisfaction.
Le gore peut aussi appuyer l'aspect horrifique d'un jeu et insister sur son ambiance glauque et angoissante. Nul doute que l'aspect écœurant des claqueurs dans The Last of Us (2009) et leur dangerosité aident les joueurs à se plonger dans l'univers inquiétant du jeu. Il convient alors d'avancer à tâtons, d'être plus vigilant sur ses tactiques, de se montrer discret et ingénieux pour échapper à ces affreuses créatures à la chair putréfiée. Le gore peut donc servir le récit et offrir son lot d'adrénaline et de terreur aux amateurs de frissons. Enfin, il faut aussi considérer que le gore peut être vu comme quelque chose de drôle et décalé. Et pour les non-initiés aux jeux vidéo, nous pouvons tout bonnement prendre l'exemple de la série Happy Tree Friends (2000) qui a basé tout son humour sur la souffrance causée à ses mignons protagonistes. Nous pouvons aussi évoquer les fameux épisodes de Itchy et Scratchy dans les Simpsons (1989), qui sont, par ailleurs, largement diffusés et acceptés à la télévision. Ainsi, dans la même mesure que le gore peut être considéré comme amusant et cartoonesque dans des séries ou des films, il peut en être de même pour le jeu vidéo. On peut parler de Lollipop Chainsaw (2012) qui, par bien des aspects, se moque de lui-même en proposant au joueur d'incarner un personnage stéréotypé au possible (la pom pom girl blonde sexy et accro aux sucettes) qui tronçonne joyeusement des zombies profs/nerds/rockeurs/rugbymen avec des combos à base de cœurs et de paillettes.
En une certaine mesure, les derniers volets de Mortal Kombat sont également un bon exemple d'une violence exacerbée qui en devient finalement hilarante. Les fameuses Fatality, bien que sanglantes et outrageantes au possible, manquent clairement de pragmatisme. Elles donnent à voir un spectacle de la violence et repoussent toujours plus les limites du réalisme. Toutefois, on leur reconnaît une certaine forme d'inventivité et un esthétisme qui est finalement devenue la marque de fabrique de la licence.
Et vous, le gore dans les jeux vidéo, vous validez ? Y a-t-il un jeu que vous avez-vous envie de nous partager ?