Dans le domaine du jeu vidéo, on parle souvent de l'hyper-sexualisation et du sexisme envers les femmes. Ceci est tout à fait légitime car il s'agit d'un phénomène majoritaire à la fois dans les jeux, dans les communautés de joueurs mais aussi en amont : dans les écoles et les entreprises du secteur. Cependant, on ne parle que très peu des stéréotypes masculins. En effet ceux-ci sont également bien ancrés dans les mentalités et les jeux vidéo dits "pour homme''.
Cependant, peut-on aujourd'hui considérer que ces stéréotypes ont encore lieu d'être ?
Le contexte historique
Le chercheur américain Stephen Kline a démontré que les premiers jeux vidéo ont principalement été conçus sur des thématiques liées à la guerre, à la conquête et au combat. En effet, les jeux vidéo sont le résultat d’expérimentations d'étudiants américains dans les années 60. Ainsi créés dans un contexte de guerre froide, ils reflètent simplement leur époque d'autant plus que la plupart de ces projets étaient financés par le département de la défense des Etats-Unis.
Les jeux vidéo ont ensuite été distribués au grand public dans les années 80. Les jeux étaient conçus par les hommes et pour les hommes : en effet, les premiers titres étaient disponibles dans les salles d'arcade, principalement fréquentées par des hommes. Il fallait donc que ces jeux plaisent au public ciblé, les personnages principaux étaient donc souvent de sexe masculin pour permettre aux joueurs de s'y identifier facilement. Cela ajouté aux contraintes techniques comme le support, le temps court des parties et la monétisation : les thématiques ont continué d'être axées sur la guerre, la conquête et le combat. Même les titres phares de Nintendo ne faisaient pas exception ! Notre ami Mario se devait de conquérir des territoires afin de terrasser son ennemi et ainsi porter secours à la princesse Peach. Il en est de même pour Link de la série de jeux The Legend of Zelda. Ceci est bien sûr à nuancer car sur la forme, ces jeux restent enfantins et beaucoup moins violents que d'autres jeux de l'époque comme Double Dragon par exemple, en effet il est possible de transmettre des valeurs et représentations de manières diverses et variées.
Plus récemment, malgré une évolution des mentalités remarquable, on constate que les jeux orientés vers les anciennes thématiques sont toujours d'actualité et rencontrent encore aujourd'hui un certain succès. Des jeux ouvertement violents, graphiquement réalistes tels que DOOM, Call of Duty ou encore CS:GO font actuellement partie des grands noms du jeu vidéo. On peut constater que dans les licences "douces" citées précédemment : Mario et The Legend of Zelda, le but du jeu reste le même qu'à l'époque.
Cet ensemble de représentations dominantes a été identifié par Stephen Kline sous le terme de "masculinité militarisée''. On constate que ce phénomène se présente aussi bien dans les productions vidéoludiques occidentales qu'orientales, bien que leur forme varie.
Le personnage masculin : deux approches bien distinctes
Communément, on donne souvent des étiquettes genrées et stéréotypées aux jeux vidéo en fonction de leur type : gestion, visual novel et puzzle pour les filles ; tir, sport et combat pour les garçons. Mais il s'avère que les personnages de jeux vidéo aussi ont leur lot de stéréotypes. Les personnages féminins sont les plus remis en question mais les hommes ne sont pas en reste !
Le public cible des éditeurs dans les années 80 était principalement les jeunes garçons. Les développeurs de jeux ont donc conçu des personnages en conséquence : il étaient pour la plupart gentils, enfantins et mignons comme : Mario, Sonic ou Link. Par la suite, les éditeurs ont évolué avec ce public en proposant des personnages plus mûrs et virils calqués sur les acteurs de blockbusters américains comme Sylvester Stallone et Arnold Schwarzenegger ; des héros très musclés, impassibles, forts et aventuriers. C'est ce que l'on pourrait appeler "le modèle occidental" , on retrouve toujours cet archétype de personnages dans des jeux vidéo plus récents. En effet, le personnage masculin occidental par excellence à une trentaine d'années, est souvent brun, barbu, musclé et a tendance à aller droit au but. Il a également un goût prononcé pour le danger, la violence et le sexe.
En guise d'exemple, je vous ai glissé ci-dessous une compilation des répliques du personnage Duke Nukem, à voir absolument !
D'un autre côté nous avons une toute autre vision de l'homme et du personnage de jeu vidéo que l'on appellera "le modèle oriental".
Celui-ci fait principalement effet au Japon où l'on va privilégier des hommes jeunes et androgynes : beaux, imberbes, aux longs cheveux, à la silhouette mince et aux vêtements soignés. Le fait est qu'au Japon, le jeu vidéo est très ancré dans la culture populaire et touche principalement le jeune public, hommes comme femmes. De ce fait, l'androgynie représente une alternative permettant au plus grand nombre de s'identifier au héros incarné dans un jeu. Pour vous donner une idée, la licence la plus populaire utilisant cette représentation est sans aucun doute Final Fantasy dont les personnages, héros comme antagonistes, présentent les caractéristiques énumérées plus haut. On pourra citer les personnages de Sephiroth, Luneth ou encore Noctis.
Ce goût pour l'androgynie ne date pas d'hier. En effet, cet idéal masculin remonte au Japon du XVIIe siècle où les hommes jouaient à la fois les rôles féminins et masculins au théâtre : c'est ce que l'on appelle le théâtre Kabuki. Cet art est vraisemblablement resté bien ancré dans la culture japonaise.
Vers une remise en question de la masculinité
On peut donc constater que les stéréotypes occidentaux et orientaux sont bel et bien ancrés dans les mœurs de par leur dimension historique. On peut se demander si, de nos jours, ces stéréotypes ont encore une raison d'exister car nos sociétés tendent vers la mixité et la diversité. Finalement, il serait bon de savoir si les joueurs masculins s'identifient vraiment à ces personnages caricaturaux de façon directe ou s'ils apprécient simplement de pouvoir incarner une sorte de héros qu'il serait impossible d'être dans la vie réelle. Malgré toute cette perfection, la seule manière de s'identifier à ces personnages est d'être sensible à leurs failles. Par exemple, Duke Nukem ne permet pas au processus d'identification d'avoir lieu car il ne possède pas vraiment d'histoire. Il plaît surtout pour son côté caricatural à l’extrême qui en devient presque comique.
Comme ce profil de jeu continue à se vendre, les éditeurs restent assez frileux et ne prennent pas beaucoup de risques pour innover et proposer des alternatives contrairement aux développeurs indépendants qui eux, sont plus audacieux. Le souci est que ces représentations stéréotypées sont véhiculées par l'industrie vidéoludique à l'échelle mondiale et ont par conséquent un impact considérable sur les joueurs.
Il est vraiment important que les développeurs et les éditeurs travaillent de concert pour prendre un nouveau tournant dans la production des jeux vidéo, on notera que certains comme Square Enix ou Blizzard participent activement à cette évolution. En tout cas, les progrès effectués restent tout de même encourageants pour l'avenir.