Bonjour Harmonie ! Merci d’avoir accepté de participer à cette interview ! Pour commencer, peux-tu te présenter brièvement ?
Je suis vice-présidente de Women In Games France depuis juin 2021. En tant que vice-présidente, je participe beaucoup au fait de représenter l’association, parler de nos actions, faire des interviews, etc. et puis je participe avec les autres membres du Conseil d’Administration à définir quelles sont les orientations de l’association et les actions qu’on a envie de mener. Avant d’être vice-présidente, j’étais déjà active en tant que bénévole depuis 2018-2019. J’avais rejoint un pôle où j’avais déjà participé à la réalisation de plusieurs actions. Quand il y a eu l’appel à volontaire pour renouveler le Conseil d’Administration, je me suis donc présentée pour pouvoir en faire encore plus. L’association a un peu plus de cinq ans et moi, j’y suis depuis quatre ans. Je suis rentrée dans l’association au tout début parce que je venais d’entrer chez Ubisoft, plus précisément à un poste qui touche la diversité et l’inclusion dans l’entreprise, notamment au sujet du handicap. Comme c’était ma première expérience professionnelle dans une entreprise de jeux vidéo, j’avais peu de contacts dans ce domaine à l’époque. J’ai donc rejoint WIG car je voulais tisser plus de liens avec des personnes qui créent des jeux vidéo et parce que je voulais aussi m’engager personnellement pour la cause.
Aujourd’hui, je vois que toutes les actions qu’entreprend Women In Games France sont vraiment utiles et nécessaires. Je vois qu’on a beaucoup de bénévoles dans l’association, plein de personnes qui ont envie de faire des choses. C’est très gratifiant de voir l’implication de toutes ces personnes !
Quels sont vos objectifs et les actions que vous mettez en place avec Women in Games France ?
Un des objectifs de WIG est de doubler le nombre de femmes travaillant dans le jeu vidéo d’ici à 2027, c’est-à-dire dix ans après la création de l’association. C’est un chiffre un peu “coup de poing” pour montrer qu’on veut faire bouger les choses à grande échelle. J’aime bien reprendre une formulation de Julie et Audrey, les deux cofondatrices de WIG France, disant que l’objectif de l’association, c’est de ne plus exister. On aimerait, dans quelques années, ne plus avoir besoin de mener toutes les actions qu’on fait aujourd’hui. On aimerait que les studios, les industries, le fassent elles-mêmes et qu’il n’y ait plus cette question du manque de mixité. Nos objectifs sont donc d’avoir suffisamment d’impact et de créer une dynamique positive pour qu’ensuite, les industries s’en chargent de manière autonome. Pour atteindre ces objectifs, on réalise quatre types d’actions.
Sensibilisation des jeunes filles aux métiers du jeu vidéo
Le premier axe consiste à informer les jeunes filles sur les métiers du jeu vidéo : leur montrer qu’il existe plein de types de métiers, qui peuvent leur plaire et qui leur sont accessibles. L’objectif, c’est de casser les biais de genre et de créer des vocations pour qu’à l’avenir, on croise dans nos studios des filles à qui on a parlé aujourd’hui. Je trouve qu’on ne parle pas assez des filières techniques aux jeunes filles et surtout, on ne leur dit pas qu’elles peuvent y avoir accès.
Mise en avant et soutien au développement de la carrière des femmes présentes dans l’industrie du jeu vidéo
Le deuxième axe consiste à valoriser les femmes qui sont déjà dans l’industrie du jeu vidéo et les aider à construire leur carrière en proposant le programme de mentorat, des formations… Le mentoring, par exemple, c’était un des premiers projets sur lesquels j’ai travaillé. On avait formé une quinzaine de binômes entre des juniors et des seniors de l’industrie du jeu vidéo. On a constaté que le mentoring avait un impact considérable pour les deux parties. Ce programme les a aidées dans leur carrière, leur a permis de développer leur réseau, etc. Cela n’aurait pas été possible sans l’association.
On leur propose aussi de participer à des événements comme la Game Developpers Conference (GDC). Chaque année, on a un partenariat qui nous permet de financer la participation d'environ cinq personnes de notre association qui n’auraient pas eu les moyens d’y aller. Le GDC est un grand événement mondial dans l’industrie du jeu vidéo. C’est the place to be si on veut booster sa carrière parce qu’on y rencontre plein de gens, il y a beaucoup de conférences sur des sujets pointus...
Portrait des six personnes ayant pu participer gratuitement à la Game Developers Conference
Il y a également le réseautage : faire en sorte qu’elles se rencontrent, favoriser l’émergence d’opportunités de carrières lors de soirées où les gens vont se poser des questions et s’entraider. Les notions d’entraide et de développement sont très importantes.
Création de rôles-modèles, rendre les femmes du jeu vidéo plus visibles
Le troisième pilier consiste en la création de rôles-modèles, c’est-à-dire visibiliser et montrer qu’il y a des femmes dans le jeu vidéo et qu’elles sont expertes de leur sujet. Même s’il n’y a que 22% de femmes dans le jeu vidéo, il faut les rendre visibles dans le but de créer des vocations et de sensibiliser les jeunes filles. Au sein de WIG, on a créé un annuaire, présent sur notre site, mettant en avant des femmes qui ont envie de prendre la parole. Ainsi, dès qu’il y a un festival, des événements médiathèque, des conférences, des tables rondes… Il n'y aura pas toujours les mêmes personnes, souvent des hommes, pour parler de game design ou de programmation. De cette façon, les journalistes et les organisateurs d’événements voient qu’on peut compléter les équipes avec plein de femmes, ils ne sont pas toujours obligés de rester entre hommes.
Sensibiliser les industries à la mixité
Le dernier pilier consiste à sensibiliser l’industrie de manière générale. On va discuter avec les syndicats patronaux, rédiger des articles, communiquer sur les réseaux sociaux, se rendre dans les studios pour leur montrer ce qu’on fait… On met également des ressources à disposition des studios pour les sensibiliser à la mixité. Notre travail, c’est de montrer pourquoi la mixité c’est important et d’essayer de rallier tout le monde à notre cause.
L’association est composée majoritairement de femmes, mais nous sommes pour la mixité, on veut illustrer le fait qu’on peut tout à fait travailler ensemble. On ne peut pas être pour la mixité sans les hommes. On sait aussi qu’il y a beaucoup d'hommes motivés qui ont envie de nous faire avancer.
Vos actions touchent donc davantage les femmes, mais WIG est ouverte à tout le monde. Parlons maintenant de la mixité dans les jeux vidéo. Qu’est-ce que cela t’inspire ?
Quand on parle de mixité dans les jeux vidéo, je pense surtout au contenu, aux jeux vidéo en tant que médias et en tant que jeux. Je pense aux personnages et aux personnes qui jouent aux jeux vidéo. Quand on parle de mixité dans les jeux vidéo, j’imagine des jeux vidéo qui sont mixtes, qui ont des personnages féminins et masculins, tous les deux bien développés, ce qui n’est pas forcément le cas sur tous les jeux. Il y a plein de jeux qui ne sont pas vraiment mixtes au niveau des personnages qu’on peut jouer. Pour moi, c’est lié en partie aux personnes qui créent les jeux. Si on a peu de femmes dans les studios de jeux vidéo, on aura forcément peu de femmes dans les contenus. S’il n’y a qu’une seule femme dans un studio, elle n’aura peut-être pas envie de s’exprimer et dire “comme on a créé que des personnages masculins dans les dix derniers jeux, j’aimerais qu’on développe un personnage féminin pour celui-ci”. Après, il y a des équipes non mixtes qui développent de beaux personnages mixtes. On a quand même encore quelques efforts à faire pour bien représenter les personnages féminins. Proposer des personnages féminins serait déjà un premier pas, car ce n’est pas le cas partout et faire en sorte qu’ils soient bien développés. Il ne faut pas qu’ils soient là juste pour que le jeu montre des personnages féminins. C’est important qu’il y ait une vraie histoire autour de ces personnages : qu’ils aient des parents, des enjeux, qu’il y ait tout un univers autour d’eux, qu’ils soient bien habillés aussi. C’est ce qu’on attend pour n’importe quel personnage, donc les personnages féminins aussi.
Le groupe de curation Steam Women in Games France met en avant des jeux créés par des personnes de genre marginalisé et/ou qui possèdent des protagonistes de genre marginalisé
Il y a des statistiques qui ont analysé les pratiques des joueuses : à quels types de jeux elles jouent, est-ce qu’elles jouent aux mêmes jeux que les hommes…. Les résultats montrent qu’elles ont des pratiques un peu différentes de celles des hommes, mais qu’il n’y a aucun genre de jeu auquel les femmes ne jouent pas. Les femmes jouent à tous les styles de jeu, mais les proportions, entre joueurs et joueuses, peuvent être un peu différentes. Il y a des jeux qui peuvent être stéréotypés. On peut croire que les jeux violents, les jeux de guerre, les jeux de tir… sont des trucs de garçons. Alors que tout le monde peut aimer jouer à des jeux tactiques ou des jeux de tir. Dans la réalité, je pense que tout le monde joue à toutes sortes de jeux. Cependant, je pense qu’il y a quand même une corrélation entre le contenu du jeu, la manière dont les personnages sont représentés, et les personnes qui jouent. Des jeux un peu violents où ne sont représentés que des personnages masculins ne vont pas forcément attirer les femmes. Ça ne veut pas dire qu’une femme ne peut pas s’identifier à un personnage masculin. D’ailleurs, on s’y est habitué en voyant majoritairement des héros masculins dans les films par exemple. Ça ne nous empêche pas de ressentir les mêmes émotions que les hommes et de pouvoir nous y identifier, mais pour attirer une communauté plus mixte, les jeux devraient présenter des contenus un peu plus respectueux et plus divers. Ils pourraient créer des personnages diversifiés, des histoires différentes, montrer plus de femmes, représenter des personnages masculins plus sensibles… ça ne ferait de mal à personne, je pense. À travers un jeu, on a envie de vivre plein de choses et pas toujours la même histoire avec toujours les mêmes personnages.
D’après ton expérience et tes connaissances, y a-t-il des mesures spécifiques mises en place au sein des studios ou des jeux par rapport au sexisme et au harcèlement sexuel ?
J’ai très peu de connaissances sur comment les éditeurs prennent en compte le harcèlement. Je sais qu’il y a pas mal d’éditeurs qui travaillent pour essayer de minimiser la toxicité des communautés via plusieurs outils comme des systèmes de bannissement. Je sais que ça reste un problème aujourd’hui. Il y a beaucoup de femmes qui utilisent des pseudos masculins ou qui jouent hors ligne volontairement pour éviter d’être confrontées à cette toxicité et ce harcèlement. Comme je joue majoritairement hors ligne, je ne fais pas face à ces questions-là dans mon expérience personnelle.
Quelles actions concrètes, au niveau du harcèlement, mais aussi de façon générale, recommanderais-tu de mettre en place pour promouvoir la mixité et la diversité dans les entreprises du jeu vidéo ?
Je pense qu’il y a plein de choses intelligentes à faire. Au niveau du harcèlement, ce qui est incontournable selon moi, c’est la formation. Les personnes qui travaillent dans le jeu vidéo, et même dans d’autres domaines, devraient être formées : savoir ce que sont les comportements sexistes et le harcèlement moral et sexuel. Il faut qu’on puisse avoir des moments pour prendre du recul et pouvoir mettre des mots comme “ok cette remarque en fait, elle est sexiste”. Si on ne réfléchit jamais à ça, on ne pourra pas identifier un comportement comme étant problématique. Sensibiliser et former à ces questions-là, de sexisme et de mixité, c’est primordial. Récemment, nous avons publié un guide pour prévenir les violences sexistes et sexuelles au travail qui s’intitule “Reconnaître et prévenir les comportements sexistes – Un guide pratique et juridique”. Ce guide s’adresse principalement aux personnes ayant des postes à responsabilités et des personnes chargées des ressources humaines dans les studios de développement, mais aussi aux autres membres du personnel afin que tout le monde puisse avoir connaissance de ses droits.
Il faudrait également sensibiliser au sujet des personnages et des histoires. Si tous les personnages d’un jeu ont une forte poitrine, c’est peut-être parce que les personnes qui ont créé ces personnages ont une vision un peu sexiste. Ça ne veut pas dire que ces personnes n’auront que des comportements sexistes, mais que, la manière dont ils ont travaillé ne leur a pas permis d’éviter ces biais-là. Ce serait bien que, pour chaque production, il y ait des guides pour donner des exemples de personnages féminins bien développés. Il y a beaucoup de conférences qui mettent en avant des jeux et qui expliquent en quoi ils sont inclusifs ou ce qui aurait pu être mieux fait. Ouvrir les yeux et regarder ce qui est réalisé ailleurs en termes de mixité et d’inclusivité, c’est déjà une bonne pratique.
Quand on fait partie d’une équipe composée uniquement d’hommes, on pourrait, par exemple, demander une relecture par d’autres personnes : aller montrer son contenu, son histoire, ses personnages à des femmes, des personnes de couleurs, des personnes handicapées… pour qu’elles puissent donner leur avis et leur ressenti. Plus on a de visions différentes, plus on va repérer ce qui ne va pas. Cela va permettre de vérifier si nos personnages et notre histoire présentent des stéréotypes ou non. Je pense que ce travail d’ouverture peut être bénéfique.
Créer de la diversité à partir de la diversité des regards et du vécu de personnes différentes… ! Souhaites-tu ajouter quelque chose avant qu’on ne clôture cette interview ? Un “mot de la fin” ?
Je trouve qu’on parle beaucoup du sujet de la mixité dans les jeux vidéo depuis la création de Women in Games et déjà auparavant. Il y a beaucoup de progrès qui ont été faits et il faut les reconnaître, je pense, pour montrer comment on a progressé. Il y a de plus en plus de femmes, on était 22% durant l’année 2022. En 2021, on était 19%. Il y a des super jeux qui sont sortis dernièrement en triple A et en indé aussi, des jeux qui sont des très bons exemples. Je pense qu’on a encore pas mal de choses à faire, mais certains studios et certaines personnes montrent déjà la voie. Il faut les suivre et continuer ces efforts-là pour qu’à termes, plus personne ne se pose ces questions et que toutes les pratiques soient déjà intégrées au quotidien.
Merci infiniment d’avoir pris le temps de répondre à toutes mes questions ! Toute l’équipe de Game’Her te souhaite beaucoup de réussite dans ton parcours professionnel et dans tes futurs projets !
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