Ça y est, nous sommes en Décembre ! Les fêtes de fin d'année arrivent à grands pas, le froid s'installe, les rues ainsi que les vitrines s'animent et s'illuminent. C'est aussi à cette période que des parents, soucieux du bonheur de leurs bambins, se dirigent naturellement vers les magasins de jouets pour dénicher LE cadeau à placer soigneusement au pied du sapin. Ils y découvrent alors des rayons savamment étudiés, généralement séparés par un code couleur qui nous est maintenant familier : rose d'un côté, bleu de l'autre.
Cette technique commerciale qui consiste modifier sa stratégie de vente en fonction du sexe de la cible, c'est ce qu'on appelle le « Gender Marketing ». Et, malheureusement, ce n'est pas uniquement applicable au commerce des jouets.
Et dans le milieu du jeu vidéo ?
En effet, que ce soit dans sa communication dans les médias, dans le traitement de ses personnages ou dans la conception même de ses produits, le jeu vidéo a largement été considéré par la société comme un loisir majoritairement masculin. Or, c'est prouvé : les femmes jouent aussi, et plus que ce que l’on voudrait nous le faire croire. En effet, selon les derniers résultats du SELL, 47% des joueurs seraient des femmes. Bien sûr, nous serions en droit de nous demander si cette enquête prend en compte les jeux mobiles qui, nous le savons, ne suscitent pas systématiquement l'engouement de la communauté gaming.
Seulement, quoi qu'on en dise, force est de constater que considérer le jeu vidéo comme un milieu exclusivement réservé à la gente masculine serait une grossière erreur.
Mais alors, pourquoi ? Pourquoi le secteur vidéo -ludique vise-t-il quasiment systématiquement (et ce, parfois même de façon inconsciente) le public masculin ? Pourquoi certains magasins se sentent obligés de préciser qu'ils ont, dans leur stock, des « jeux pour filles » ?
Un rayon spécialement dédié aux filles dans un magasin de jeux-vidéo
Quel est le problème avec le Gender Marketing dans le jeu vidéo ?
Il y a, dans l’appellation « jeux pour filles », un étrange sous-entendu qui reviendrait à dire aux clientes passant la porte d'un magasin spécialisé « Ne cherchez pas ailleurs : ces jeux ont été créés pour vous ! ». Or ils ne sont, bien souvent, pas à l'image de ce qu'elles attendent réellement.
Est-ce qu'un homme qui joue aux jeux vidéo portera systématiquement son attention sur un jeu promettant des chars et des explosions ? J'en doute. Alors comment imaginer qu'une joueuse puisse forcément se retourner sur un jeu de coiffure à la boite saturée de rose et de paillettes ? Toutes les filles n'ont pas envie de jouer à La Nouvelle Maison du Style, Alexandra Ledermann ou Léa Passion … Et tous les hommes ne sont pas avides de World of Tanks, Medal of Honor ou Call of Duty.
Certains diront que ces « jeux pour filles » partent d'une bonne intention, et qu'ils cherchent justement à diversifier la communauté gaming. Or, en séparant de façon si nette les « jeux vidéo pour filles » et le « reste du marché » (qui remplace finalement le terme « jeux vidéo pour garçons » qui, avouons-le, ne nous est pas aussi familier), on place finalement une barrière solide entre les hommes et les femmes. Et cela ne s'appelle pas de la mixité, mais de la segmentation. Le Gender Marketing n'a pas vocation à inciter à l'échange entre hommes et femmes, mais bien à les diviser en deux catégories distinctes.
Le problème ce n'est pas le jeu-vidéo... Mais bien la façon dont il est mis en vente. Le marketing, ce n'est pas seulement vendre un objet. C'est surtout vendre une image. Une publicité est rarement neutre et diffuse généralement un message, une raison d'acheter un produit. On peut vendre une licence de multiples façons, en mettant l'appui sur différents points dans son écriture, ses personnages, son gameplay....
Historiquement, ça vient d'où ?
À la fin des années 70, Atari est le leader du marché du jeux-vidéo. Et lorsque l'on se penche sur les publicités de l'époque, on peut constater que le public visé était alors relativement mixte et diversifié.
Différentes publicités pour les produits Atari
C'est donc à cette époque que naissent des jeux iconiques tels que Pong (1972), Space Invaders (1978) ou Pacman (1980). Face à l'engouement du public pour ces jeux, beaucoup de copies -plus ou moins officielles- apparaissent alors sur le marché. Faciles à concevoir et peu onéreuses, ces copies envahissent le paysage vidéo ludique. La production décolle de façon fulgurante, mais l'accent est davantage mis sur la quantité que la qualité. Les jeux, bien que nombreux, manquent de qualité et s'essoufflent petit à petit, ce qui provoque un désintérêt progressif du public. Par ailleurs, le système économique de l'époque ne permet pas aux éditeurs de favoriser la vente de leurs produits. Car, à cette période, si un jeu ne parvient pas à être vendu dans un magasin, il est renvoyé au créateur en échange d'argent ou d'un nouveau jeu. Tout ceci, additionné au fait que peu de foyers disposent de téléviseurs à l'époque entraîne une véritable stagnation du marché... Jusqu'à un véritable crash en 1983.
Il faut attendre 1985 avec la sortie de la NES pour voir le marché du jeu vidéo sortir de la crise. Mais ce retour en force implique une nouvelle politique de commercialisation : hors de question pour Nintendo de commettre les mêmes erreurs que leurs prédécesseurs !
Il est donc urgent de cibler un public précis et de mettre en place des outils marketing forts pour pouvoir captiver son audience. Au travers d'une étude effectuée à la fin des années 90, il est démontré que les garçons jouent davantage aux jeux vidéo que les filles. Les campagnes publicitaires pour Nintendo se tournent alors uniquement vers une audience masculine. Les créateurs de Pokémon n'hésitent d’ailleurs pas à choisir Pikachu au lieu de Mélofée comme mascotte, Mélofée étant considéré comme 《 trop féminin 》pour leur licence. Des publicités ainsi que des jeux profondément sexistes voient le jour, la sortie de la « Game Boy » confirme le public ciblé par les marketeurs, et les jeux vidéo trouvent leur place au rayon « garçon » dans les magasins de jouets. Et une forte division s'opère alors entre hommes et femmes.
Différentes publicités pour la marque Nintendo
Quelles solutions ?
Réaliser, en 2018, qu’il existe toujours une catégorie « jeux pour filles » sur un site internet tel que la Fnac nous fait penser que, malgré toutes les avancées en matière de mixité dans les jeux vidéo, il reste encore un long chemin à parcourir avant de faire drastiquement évoluer les mentalités. Car il semble anormal à notre époque, de considérer le public féminin uniquement au-travers d’un certain type de jeu axé majoritairement sur les simulations de vie, le chant ou la danse.
Heureusement, plusieurs solutions existent :
- Avant toute chose, intégrer davantage de femmes dans les studios de jeux vidéo permettrait largement de stopper cette vision des intérêts féminins au-travers des stéréotypes véhiculés depuis bien longtemps par la publicité et la société en général.
- Considérer le jeux vidéo comme un art (au même titre que le cinéma ou la musique) et non comme un jouet. En imitant le modèle des jouets pour enfant, les marketeurs encouragent, d’une part, une véritable fragmentation entre les hommes et les femmes et, d’autre part, un caractère infantilisant aux jeux vidéo. Or, il ne faut pas être un expert dans ce domaine pour se rendre compte que des jeux tels que The Last Of Us ou Detroit Become Human ne sont pas des jeux uniquement « pour les garçons », et encore moins des jeux pour enfants.
Enfin, il est vrai que l’émergence de personnages féminins plus représentatifs assimilés à autre chose qu’à des objets sexuels ou des prix à gagner aiderait probablement à changer l’opinion que peuvent avoir certaines femmes sur le jeu vidéo. Car, en valorisant une stratégie marketing majoritairement destinée aux « hommes cis hétérosexuels », le marché du jeu vidéo freine nécessairement l’intérêt d’un public bien plus large. Et on peut finalement comprendre la lassitude de potentielles joueuses face au traitement global de la gente féminine dans les jeux.