Depuis plus de 50 ans désormais, le jeu vidéo évolue constamment en parallèle de l’avancée technologique globale. Si on a tendance à souvent s’attarder sur la partie graphique, le matériel physique est lui aussi passé par tout un tas d'aspects. Ce sont les manettes qui vont donc nous intéresser aujourd’hui, au cours d’une rétrospective oscillant entre innovations, essais et ratés.
Des débuts minimalistes
Pour parler de la première manette, il faut bien sûr s’attarder sur le premier jeu vidéo de l’histoire. Ainsi, j’appelle Tennis for Two, sorti en 1958 et jouable sur un oscilloscope en guise d’écran. Le jeu est jouable à deux et le principe est de s’échanger une balle sans toucher la barre centrale, représentant le filet. Pour ce faire, les joueurs et joueuses ont un boîtier arborant deux boutons, l’un est rotatif et contrôle l’angle de la balle, l’autre est à pression et sert à taper cette même balle. Rien de complexe, le but est que cela soit intuitif. Quelques années plus tard, le jeu Spacewar! (1962) fait son apparition. Développé en partie par Steve Russell, vous contrôlez un vaisseau spatial et devez affronter le vaisseau de l’adversaire. Pour les contrôler, c’est encore un boîtier à touches qui est conçu, plus complexe que celui de Tennis for Two cependant. Il n’y a pas seulement deux touches, mais cinq ! Deux pour aller à gauche ou à droite, une pour tirer, une pour les gaz des réacteurs et une pour l’hyperespace. Évidemment, il y a plus de complexité à prendre en main le ludiciel. Neuf ans plus tard, Nolan Bushnell, l’un des hommes derrière Pong, dévoile la borne d’arcade Computer Space, grandement inspirée du jeu de Steve Russell. Le principe est sensiblement le même et les touches de contrôle sont au nombre de quatre, celle pour l’hyperespace ayant disparu.
Les contrôleurs de Tennis for Two
C’est en 1972 avec l’arrivée de Pong que va réellement se démocratiser le jeu vidéo et commencer l’ère de l’arcade. Pour ce qui est des manettes, nous n'y sommes pas encore, car les touches sont intégrées à la borne d’arcade. Et c’est l'accessibilité qui est prônée avec de simples boutons rotatifs, disposés au nombre de deux, servant à faire bouger sa raquette vers le haut ou le bas. Concernant les autres jeux de cette époque, cela oscille entre jeux de tir, de course, de sport, de combat, etc. Les bornes d’arcade arborent parfois de simples boutons, d’autres fois des joysticks, ou bien même des mécanismes favorisant l’immersion comme des volants ou des armes optiques… En somme, l’occasion de tester une multitude de façons d'interagir avec le jeu vidéo
L’ère des consoles : copier, tatonner, innover puis s’inspirer
C’est avec l’arrivée des premières consoles de salon populaires que commence l’émergence des manettes, ou du moins des pads de contrôle. Hérité de l’arcade, c’est un joystick qui a tendance à les composer dans un premier temps. L’Atari 2600 (1977) est sûrement la plus connue avec son pad doté d’un joystick et d’un seul bouton rouge. Cependant, une autre console, sortie un an auparavant, adopte aussi ce système de joystick : la Fairchild Channel F. Contrairement à la console d’Atari, les joysticks ont plus d’axes directionnels et sont cliquables. Par la suite, Atari rattrapa ses lacunes avec l’Atari 5200 (1982), en améliorant le joystick et en intégrant des touches start, pause et select sur son pad, une première !
Le pad de l'Atari 5200
En 1982, la franchise Donkey Kong est adaptée sur la Game & Watch de Nintendo. L’appareil étant destiné à un usage portable, le joystick est remplacé par un autre système de déplacement : la croix directionnelle. De plus, la disposition de celle-ci est à gauche de l’écran et le bouton d’action à droite, ce qui deviendra la norme. Nintendo ne se prive pas de reprendre le même système pour la manette de sa Famicom en 1983, connue chez nous comme la NES. La croix est donc à gauche, les deux boutons d’action à droite, et au centre les touches start et select, repris de l’Atari 5200. On peut dire que ça ressemble bien à une manette à ce stade-là. D’ailleurs, cela va décider la manière de concevoir les pads définitivement. Toutes les bases sont présentes et ne demandent plus qu’à être améliorées. Durant la troisième génération de consoles, la concurrence reprend les mêmes éléments. La manette de la Master System de Sega par exemple garde les mêmes dispositions, mais la croix directionnelle est différente, Nintendo ayant breveté SA croix directionnelle. Seules les touches reset et pause sont sur la console.
Avec la quatrième génération de consoles, les manettes changent de forme et deviennent légèrement arrondies. C’est la Mega Drive de Sega qui lance le pas en 1988 avec une manette qui embarque désormais trois touches d’action et un bouton pause. Enfin !
Nintendo de son côté pousse l’innovation encore plus loin en 1990 avec la Super NES qui offre désormais six touches d’actions aux joueurs et joueuses : quatre boutons sur la face et deux boutons sur la tranche supérieure de la manette. Les possibilités que cela offre se font vite ressentir et certains jeux peinent à être correctement jouables chez les concurrents, notamment ceux de combats. Prenez en compte que la croix directionnelle est devenue une formalité et est dorénavant présente sous diverses formes sur toutes les manettes des consoles, peu importe le constructeur. (SNK, Atari, Amiga…)
L'Atari Jaguar et sa manette
En 1994, Sony entre sur le marché vidéoludique avec la PlayStation. Leur arrivée se doit d’être marquante et en plus d’introduire le support CD, la manette dispose d’un look bien caractéristique et de plus de touches, encore. Les standards sont bien sûr repris, parfois avec de nouvelles idées : croix directionnelle (au style particulier), quatre boutons d’actions sur la face (avec symboles géométriques faciles à mémoriser), touche select et start, puis quatre touches sur la tranche supérieure (simplement reconnaissables : L1, L2, R1, R2). Autre modification de taille, la forme de la manette est très ergonomique et arbore deux poignées facilitant la prise en main. Ce qui deviendra également la norme par la suite.
Pour sa Nintendo 64 (1996), la société japonaise ne manque pas de reprendre un système de poignées, mais en rajoute une. Ce qui permet différentes prises en main suivant les jeux. Il y a six boutons d’action sur la face et trois sur la tranche arrière. La plus grosse nouveauté de cette manette est bien entendu le stick analogique sur la poignée centrale, le premier de l’histoire. Il permet de pousser encore plus loin les contrôles d’un jeu vidéo en brisant la limitation d’axes de mouvement. Fait amusant, Sega sort une semaine après une manette disposant d’un stick analogique... Bien sûr, Sony ne tarde pas à sortir également une manette disposant de sticks analogiques en avril 1997 avec le Dual Analog Controller (car deux sticks), qui laissera vite sa place à la fameuse DualShock au mois de novembre de la même année. D’ailleurs, ce nom (DualShock) fait référence aux deux moteurs de vibration situés chacun dans une poignée de la manette. Et cette notion de vibration apparaît pour la première fois en avril 1997 avec le Rumble Pak de Nintendo, qui se connecte sous la manette de la N64. Une année décidément riche en innovations !
Le Dual Analog Controller, vous remarquerez la ressemblance des sticks avec les dernières manettes de Sony (PS4 et PS5)
Les années 2000 : Stagnation pour certains, toujours plus loin pour d’autres
À la fin des années 90, Sega inaugure la sixième génération avec la Dreamcast (1998). La manette adopte une forme assez imposante, dispose de gâchettes analogiques et se démarque notamment par la possibilité d’y insérer une carte mémoire à écran LCD. Le Dreamcast VMU (Visual Memory Unit) permet tout d’abord de stocker ses données, mais également d’afficher des informations additionnelles avec les jeux compatibles, ainsi que de jouer à des mini-jeux grâce aux quelques boutons qui le composent. Bien sûr, cette fonctionnalité d’écran additionnel n’est pas sans rappeler la Nintendo DS ainsi que la Wii U et son Gamepad.
La manette de la Sega Dreamcast et le VMU
Du côté de chez Sony, la Dualshock 2 de la PlayStation 2 (2000) reprend tous les éléments de sa grande sœur et les changements sont très minimes, ses sticks analogiques et ses boutons proposant des degrés de sensibilité plus importants. Face au géant japonais, Microsoft entre sur le marché du jeu vidéo à son tour avec la Xbox (2001) et sa manette “Duke” qui reste encore aujourd’hui très impressionnante et colossale. Elle dispose de toutes les touches habituellement présentes chez la concurrence, à la différence qu’elle a six touches d’action sur la face avant et deux touches sur la tranche supérieure, des gâchettes analogiques en l'occurrence. Une autre version du contrôleur sortira ensuite, plus facile à manipuler et disposant d’emplacements pour insérer les cartes mémoires. Une chose reste à souligner, peu importe le constructeur, les manettes disposent désormais toutes de deux sticks analogiques, parfois cliquables, placés de diverses manières et de plus en plus mis à contribution par les jeux. Enfin, Nintendo continue son bonhomme de chemin avec la GameCube (2001) et sa manette très particulière. Bien évidemment la croix directionnelle brevetée par la firme est toujours présente. On retrouve encore une fois toutes les touches habituelles, si ce n’est que la tranche arrière présente deux gâchettes analogiques et un bouton cliquable. La manette a une touche d’action de moins que ses concurrentes et ne dispose que d’un bouton start/pause. Cependant les quatre boutons d’action présents sur la face sont disposés d’une manière assez originale, laissant prépondérante la touche A, principalement utilisée dans les jeux. Les bordures bloquantes des sticks disposent également de crans, comme c’était déjà le cas sur N64.
La manette Duke
Pour les futures générations, on notera très peu de différences entre les manettes des consoles de Sony et de Microsoft. Avec la Xbox 360 (2005), la société américaine va revoir le design de son contrôleur une bonne fois pour toutes, et dispose les touches de la même manière que les manettes de son principal concurrent. Les sticks analogiques étant simplement désaxés et la croix directionnelle changeant ainsi de place. C’est cette manette qui inaugurera cependant l’apparition d’un bouton “menu”. La DualShock 3 de la PlayStation 3 (2006) reprend quant à elle le même design que le modèle précédent et opte enfin pour deux gâchettes analogiques pour les touches L2 et R2. De plus, elle ajoute également une touche “menu” à son centre et propose de la reconnaissance de mouvement avec la technologie Sixaxis.
Encore une fois, et notamment à partir de là d’ailleurs, Nintendo va opérer un changement d’approche et va bouleverser la manière d'interagir avec le jeu vidéo en sortant la Wii (2006). Fini la simple manette, place à la Wiimote et au Nunchuk et surtout à la détection de mouvement. Avec sa nouvelle console, Nintendo fait la part belle à l'accessibilité et au partage en ouvrant les horizons du jeu vidéo à un plus large public. Pour ce qui est des touches, on retrouve sur la télécommande principale un bouton d’action principal placé sous la croix directionnelle, un bouton “menu”, les touches start et select sous l’apparence de + et -, deux autres touches 1 et 2 peu accessibles puis un bouton en dessous accessible par l’index. L’autre périphérique dispose d’un stick analogique et de deux boutons sur la tranche supérieure. Certains jeux s’adaptent à ce nouveau mode de contrôle quand d’autres essaient de s’y faire sans vraiment y parvenir efficacement. Toutefois, le motion gaming inspire Sony et Microsoft qui sortent en 2010 le PS Move pour l’un et Kinect pour l’autre. Nintendo sort aussi par la suite une manette plus standard, reprenant globalement la même disposition que celles de la concurrence.
Contrôleurs PlayStation Move
La génération suivante voit Sony et Microsoft confirmer la conception de leurs manettes. Il ne s’agit désormais que de peaufinage et d’ajouts partiels ici et là. Si les formes des manettes changent encore, c’est surtout de l’optimisation. La texture est également modifiée sur certaines parties pour améliorer la prise en main et les touches et sticks analogiques adoptent des formes quelque peu différentes. Sony ajoute de son côté une touche partage/capture d’écran, un haut-parleur intégré et un pavé tactile faisant surtout office de grand bouton select
Une fois n’est pas coutume, c’est Nintendo qui va proposer une manette au design innovant. Le GamePad de la Wii U embarque, en plus des touches habituelles, un grand écran tactile central, une caméra, un microphone et des haut-parleurs stéréo. L'intérêt de cet engin est avant tout d’apporter une complémentarité avec la console, plusieurs informations nécessaires aux divers jeux s’affichant sur l’écran de la manette. De plus, on peut également jouer sur le GamePad afin de laisser libre l’écran d’une télévision. Malgré son succès mitigé, la Wii U servira de très bonne base pour la dernière console de Nintendo, la Switch. Comme son aînée, cette dernière mise complètement sur la relation entre la console et ses manettes. Les Joy-Con peuvent ainsi se joindre à la console ou se raccorder entre eux, séparés de la console. La Switch se définit donc comme une console de salon, tout en restant portable. Les boutons sont les mêmes que précédemment, notez seulement l’apparition d’une touche de capture d’écran et une croix directionnelle remplacée par quatre boutons en losange, un seul Joy-Con pouvant servir de manette oblige. Pour ses deux consoles, Nintendo sort comme à son habitude une manette plus standard, reprenant les codes courants d’aujourd’hui.
La Wii U et son GamePad
En fin d’année 2020, c’est Sony et Microsoft qui ont inauguré le bal de la neuvième génération avec la PlayStation 5 et la Xbox Series. La DualShock de Sony laisse sa place à la DualSense, l'intérêt est de mettre en avant les nouvelles fonctionnalités et sensations procurées par la manette : gâchettes adaptatives, vibrations haptiques, micro intégrés. Microsoft, de son côté, continue de peaufiner sa manette précédente, très appréciée par le public. Seulement une touche partage/capture est ajoutée et les autres modifications sont de l’ordre esthétique et ergonomique.
Vers l’apogée de l’évolution ?
Toute cette évolution s’est ainsi faite au travers d'innovations et d’inspirations entre toutes les sociétés ayant joué un rôle dans le monde des consoles de jeu vidéo. Tout cela a conduit à ce que l’on connaît aujourd’hui. On peut remarquer que les manettes standards disposent toutes d’une forme similaire et des mêmes boutons d’interactions. Ces derniers sont globalement situés aux mêmes endroits et c’est la place des sticks qui va notamment jouer sur la préférence des joueurs et joueuses. Comme nous l’avons vu, les nouveautés s’attardent sur les sens et l’ergonomie générale. L’évolution se fait plus sur le plan de l'accessibilité ou de l’immersion dorénavant.
Microsoft a par exemple sorti en 2018 le Xbox Adaptive Controller permettant aux personnes handicapées d'interagir plus facilement avec les jeux vidéo. Cela via une plateforme sur laquelle peut se brancher une multitude de périphériques, représentant les touches d’une manette classique.
Pour ce qui est de l’immersion, c’est la réalité virtuelle qui innove constamment. La plupart des casques proposent une manette à utiliser dans chaque main, avec des touches d’action diverses, un stick analogique, la reconnaissance de mouvement ainsi que des détecteurs digitaux. Certains casques permettent même de jouer sans manettes et reconnaissent directement les mains des utilisateurs et utilisatrices.
Le Xbox Adaptive Controller, accompagné de plusieurs périphériques compatibles
Pour terminer, le jeu vidéo ne se limite pas qu’au support manette et le PC n’est pas en reste dans cette évolution du contrôleur. Mais il faut dire que le combo clavier/souris n’a pas beaucoup évolué avec le temps, à part les composants, la rapidité et les types de pression. Néanmoins, le jeu à la souris a notamment contribué à populariser le genre du Point and click qui s’est rapidement vu adapté sur console. Il s’agissait alors souvent de contrôler le pointeur à l’aide des touches directionnelles, du joystick ou du stick analogique. Une fonctionnalité qui reste d’ailleurs très présente dans bon nombre de jeux actuels où la navigation dans les menus se fait à l’aide d’un pointeur. Une influence qui s’est ainsi portée sur la manière d’utiliser des touches.
Sources :
https://www.youtube.com/watch?v=hAgayKC2bdk&t=326s&ab_channel=Edward
Pages Wikipédia des consoles évoquées