Vivre la mort d’un être cher est très difficile. Le sentiment que notre monde s’effondre nous envahit et nous sommes submergés par les regrets et l’envie de revoir cette personne. Le deuil est vécu différemment par chacun et nous avons tous notre manière de le surmonter : discuter avec des proches, se réfugier sous sa couverture toute la journée… Mais il est aussi possible de mieux vivre son deuil grâce aux jeux vidéo, que cela soit pour y retrouver un refuge ou s’en servir comme guide dans notre rétablissement.
Un guide pour le deuil
Le jeu Gris remplit parfaitement ce rôle. La cinématique d’introduction nous présente une femme qui chante à une autre femme (représentée par la statue). Puis la statue se brise, symbolisant la mort de l’être cher, et notre personnage perd sa voix, puis chute dans un vide qui paraît sans fin.
À la fin de sa chute, la protagoniste arrive dans un monde terne, sans vie et sans couleurs. Pendant les premières secondes, notre personnage a du mal à avancer et tombe à genoux au moindre effort. Ce monde terne et dévasté est une allégorie de notre monde qui s’écroule et de la surprise de l’annonce de la mort. Lors de notre périple dans cette partie du jeu, il est possible de tomber sur une statue de l’être cher.
Cette statue représente le déni, la première phase du deuil selon les études de Kübler-Ross en 1969. Cette psychiatre suisse-américaine a révélé un cycle dans le deuil qui est traversé par chacun lors de la mort d’un proche. Le premier est le déni, une étape durant laquelle nous nous refusons à l’idée que la mort a emporté notre être aimé. Nous essayons en vain de maintenir notre état mental alors que nous sommes envahis par une extrême impuissance.
Notre aventure se poursuit dans un nouvel environnement, où la couleur rouge est omniprésente. Ce rouge représente la seconde phase du deuil selon Kübler-Ross : la colère. Notre personnage apprend alors une nouvelle capacité : se transformer en un cube permettant de détruire des objets. Emplis de colère, nous détruisons alors tout sur notre passage, quitte à détruire l’habitat de certains petits êtres vivant dans ce monde. Notre haine nous emporte, nous nous énervons contre nous-même et les autres, pour n’avoir pas passé plus de temps avec le défunt avant qu’il parte ; ou pour d’autres raisons variées.
Quand la colère est passée, nous entrons dans une nouvelle phase : la négociation, représentée par un environnement vert. La négociation consiste à se demander pourquoi l’être est parti. Nous regrettons son départ et les remords et la culpabilité nous envahissent. Les bons souvenirs viennent nous remplir l’esprit et nous entrons dans la quatrième phase du deuil : la dépression.
Dans Gris, la dépression est représentée par un monstre métamorphe. À l’instar de la réalité, notre personnage le combat et cherche à le fuir. Elle réussit à de nombreuses reprises à lui échapper, mais vient un moment où le monstre est sur le point de la dévorer. Une tortue qui nous avait aidé à trouver le chemin dans une caverne sombre, arrive alors soudainement et chasse le monstre, à la manière d’un ami qui nous oblige à sortir pour vaincre la dépression.
Vient enfin la dernière étape du deuil selon Kübler-Ross : l’acceptation. Notre protagoniste a retrouvé sa capacité à chanter, ce qu’elle adorait faire avant l’épisode tragique. Lorsqu’elle use de ses cordes vocales, le monde autour d’elle se reconstruit et fleurit. Elle a alors accepté la mort de son être proche. Elle voit la vie comme elle est réellement, pleine de beaux événements à vivre et riche en couleurs.
Le personnage a réussi à surmonter son deuil et nous l’avons accompagné dans ce périple. De la même manière, il faut combattre et être fort dans de telles situations pour en sortir plus forts et enrichis. À l’instar de notre personnage dans Gris, les deux enfants de Brothers : A Tale of Two Sons combattent le deuil comme ils le peuvent, alors que leur mère est morte et que leur père est mourant. Nous voyons alors comment les enfants arrivent à combattre ce tragique événement qu’est la mort. Je ne vous en dis pas plus, mais je vous le recommande vivement.
Malheureusement, les enfants protagonistes du jeu vidéo ne sont pas les seuls à vivre le deuil. Il arrive que des jeunes perdent des proches très tôt. Pour aider les jeunes enfants à mieux vivre la perte d’un proche, le studio Bounce Work a créé le jeu Apart Of Me permettant aux enfants d’avoir accès à des histoires venant d’autres enfants ayant surmonté le deuil. Le postulat du studio était que dans notre société actuelle, les enfants allaient naturellement se diriger vers les jeux et les réseaux sociaux pendant leur deuil, donc le jeu fut créé afin de leur apporter un environnement sain où ils pourraient partager leurs émotions avec d’autres jeunes vivant les mêmes événements.
Préparer le deuil
S’il est possible de vivre son deuil à travers les jeux vidéo, nous pouvons aussi nous préparer à la perte d’un être cher. En 2010, Amy et Ryan Green apprennent que leur fils Joel est touché par un rare cancer encéphalique et les docteurs estiment qu’il ne vivra que 4 mois. Joel étant leur troisième enfant, ils racontent alors à leurs deux autres enfants des comptines du soir, dans lesquelles un chevalier nommé Joel combat un dragon nommé « Cancer ». L’histoire dura durant des mois et devait se terminer lorsque Joel partirait. Le chevalier serait alors arrivé au bout de sa quête et aurait disparu n’ayant pas réussi à vaincre le dragon. C’était leur manière à eux de faire comprendre le combat que vivait leur petit frère. Mais heureusement, le combat fut plus long que prévu, et Joel vécu durant plusieurs années.
Ils eurent alors l’idée de créer un jeu vidéo : That Dragon, Cancer, racontant l’histoire de la famille. Il raconte le combat quotidien d’un foyer, divisé entre doute et espoir. Le jeu parle notamment du sentiment des parents qui se battent pour aimer leur fils et lui faire vivre de beaux moments même s’ils savent que la perte en sera encore plus douloureuse. Le jeu est très beau et riche en émotions et a remporté le prix de « Jeu le plus marquant de l’année » aux Games Awards 2016.
La famille Green a utilisé le jeu vidéo pour préparer leur deuil, mais une mère s’en est également servie pour donner ses adieux. En 2005, un internaute coréen raconta son histoire sur la plateforme IGN. Environ 2 ans auparavant, il acheta Animal Crossing pour y jouer avec son frère. Peu de temps plus tard, il convainquit sa mère d’y jouer afin de passer le temps, vu qu’elle restait la majorité du temps à la maison, étant malade. Elle accrocha rapidement et y joua beaucoup. Elle continua de jouer même après avoir fait le tour du jeu. Ses enfants ne comprenaient pas pourquoi elle passait autant de temps sur le jeu, car ils s’étaient lassés depuis longtemps. Peu de temps plus tard, son état s’aggrava et les adolescents perdirent leur mère. Ils oublièrent Animal Crossing pendant plus d’un an, mais décidèrent d’y retourner par nostalgie. Ils découvrirent alors que leur mère leur avait envoyé un grand nombre de cadeaux et de lettres, espérant qu’ils les ouvrent un jour. Ils comprirent alors que si leur mère continuait à jouer après avoir fini le jeu, c’était juste pour leur envoyer des cadeaux. L’histoire est sublimement racontée par une BD, je vous invite à la lire ici.
Le jeu vidéo n’est pas qu’un lieu de détente ou de rencontre, il peut aussi permettre de faire passer des messages ou servir comme outil thérapeutique. Le jeu vidéo est accessible sans expérience, tant pour le développement, que pour profiter de l’expérience proposée. Les créateurs de jeux peuvent parler de tout, et chaque joueur vit son expérience à sa manière. C’est une des forces du jeu vidéo, et tant que cela perdure, tout le monde pourra y trouver son compte.
Sources :
The Five Stages of Grief - Gris, par PixelDemise
Grief and video games - Low Batteries, par EuroGamer
The game which helps kids talk about grief, par BBC radio 5 live
Le deuil numérique - DBY #16, par DirtyBiology
A video game to cope with grief | Amy Green, par TED