Dans le cinéma ainsi que dans la littérature, parler de narration est chose aisée. En effet, existant depuis plus longtemps et ayant eu un grand nombre de recherches et thèses à leur sujet, ces arts ont des règles et cadres précis. A contrario, dans le jeu vidéo, c’est un exercice un peu plus compliqué. Néanmoins, nous allons essayer d’en parler tout en cernant ses particularités.
La narration avec un petit plus ?
La narration dans le jeu vidéo partage les mêmes caractéristiques que le cinéma ou la littérature. Elle permet de raconter d’une façon particulière une ou plusieurs séries d'événements. Pour autant, les points de similitude s’arrêtent ici, car l’art vidéoludique a d’autres caractéristiques uniques. Comparé aux autres arts, le destinataire de l’œuvre peut interagir avec elle de façon directe : les actions du joueur ont une incidence sur la diégèse de l’œuvre, l’espace-temps dans lequel se déroule l'histoire proposée par la fiction, d'un récit, d'un film. De cette interactivité entre le jeu vidéo et le joueur découle différentes manières de raconter une histoire. Par exemple, dans Dark Souls, des éléments de l’histoire sont disséminés dans les descriptions d’objets.
Ici dans Dark Souls, des éléments narratifs de l'univers sont présents dans la description des objets.
Dans Pokémon, certains événements relatifs à la diégèse du jeu sont consignés dans certains rapports que l’on trouve pendant l’exploration, comme les rapports sur la création de Mewtwo à Cramois’île. Tous ces éléments permettent aux joueurs qui sont curieux d’améliorer leur expérience narrative du jeu, en les laissant découvrir par eux-mêmes des éléments. Bien sûr, on peut se demander si c’est le cas pour tous les types de jeu, que ce soit un FPS, un jeu de course, ou de simulation. Des narratologues et ludologues se sont interrogés sur cette question et il a fallu créer de « nouvelles dénominations » pour caractériser les types de narrations du jeu vidéo.
Les prototypes narratifs du jeu vidéo.
À la suite de recherches menées par des chercheurs et spécialistes depuis 20 ans, il est apparu que la narration des jeux vidéo, peut être divisée en trois grands types de narrativité, ou autrement dit, prototypes narratifs. Ces trois grandes catégories que sont : le jeu à contenu narratif faible ou endo-narratif, le jeu à récit complet, ouvert ou fermé et le jeu évolutif permettent de mieux cerner le type de narration auquel nous aurons affaire au cours de nos aventures.
Le jeu à contenu narratif faible, ou endo-narratif, est un prototype narratif qui laisse la trame scénaristique au second plan pour s’intéresser à d’autres éléments du jeu comme le gameplay. La série Doom et notamment le remake produit par Bethesda est un bon exemple de ce prototype narratif. En effet, tout le lore de Doom est relégué au second plan, pour se concentrer sur les possibilités de tuer des démons de la façon la plus brutale qui soit, au lieu de s’intéresser à l’histoire des personnages et à l’histoire du jeu.
Dans DOOM le scénario laisse place à un carnage en règle.
Néanmoins, sur d’autres jeux de ce type, la narration permet quand même d’intégrer une histoire à un jeu avec très peu d’éléments. Dans Donkey Kong premier du nom, sorti en 1981, l’intrigue est d’une grande simplicité. Mario doit sauver Pauline, enlevée par Donkey Kong, en traversant des épreuves. Cette intrigue minimaliste est souvent un prétexte pour donner un cadre narratif aux actions entreprises par le joueur, dans le but de justifier celles-ci. Pour résumer, les jeux « à contenu narratif faible » reposent sur l’identification d’un objectif clairement identifiable par le joueur, comme un score ou un chrono, la narration y est secondaire et permet surtout de donner un contexte aux actions du joueur.
Le jeu à « récit complet » est ce qui se rapproche le plus des prototypes narratifs de la littérature connu comme le roman par exemple. Ici, l’intrigue du jeu vidéo prend un plus grand intérêt. Le joueur a l’impression qu’il est dans une histoire ficelée, car il progresse dans un univers où il y a une continuité suggérée par le graphisme et/ou l’ambiance. Par l’idée de la progression vers un but marqué, les outils narratifs mis en place pour le déroulement du récit sont plus marqués. Pour continuer notre explication sur le jeu à récit complet, nous allons faire la différenciation entre deux types de récit, le récit dit fermé et le récit ouvert.
Le récit fermé est caractérisé par une intrigue linéaire où il n’y a qu’un dénouement possible qui permette de réguler la progression du joueur. Les jeux parfois découpés de façons épisodiques avec un combat de boss comme climax et l’opportunité de passer à un niveau supérieur.
Les jeux de la licence "The Legend Of Zelda" ont les caractéristiques du récit fermé, une narration unique et linéaire.
Ce genre de découpage : cinématique, phase de gameplay avec un boss fight puis cinématique de dénouement de « l’épisode » permettant de faire le lien avec le nouvel épisode, permet de renforcer l’immersion du joueur dans l’aventure, en utilisant un schéma narratif, qu’il a pu expérimenter dans d’autres médias On retrouve généralement ce type de schéma narratif, dans les telltales et aussi dans les jeux d’aventures plus “classiques”. Il permet aussi de créer et d’ancrer un univers cohérent et crédible pour le joueur où il se sentira impliqué émotionnellement et aura envie de progresser, bien qu’il doive suivre de façon précise l’intrigue principale. Pour conserver l’intérêt du joueur pour l’histoire, le récit fermé utilise le « suspense moyen ». Le joueur connaît le dénouement de l’histoire, mais il détournera son attention de celui-ci afin de s’intéresser aux circonstances qui le mènera à la fin attendue. Par exemple dans la licence The Legend of Zelda, le joueur sait que Link, le héros, finira par vaincre les forces du mal et sauver la princesse Zelda. Pourtant, nous nous intéressons plus aux circonstances qu’au dénouement que nous connaissons.
Le récit ouvert quant à lui troque la linéarité du récit fermé pour se focaliser sur un récit arborescent composé d’un nombre plus ou moins importants de choix impactant le dénouement de l’aventure.
Dans Heavy Rain les choix des joueurs ont une incidence dans l'intrigue, ce qui est typique des récits ouverts.
Ceci permet au joueur d’avoir « le choix » quant à la façon dont il aborde le jeu et lui donne l’impression que ses choix comptent dans l’aventure. Le jeu Heavy Rain développé par Quantic Dream est un excellent exemple de jeu à choix narratifs multiples. En effet, chaque décision prise au courant de l’aventure aura un impact sur la progression et a fortiori sur la fin de l’aventure, laissant au joueur le choix sur son cheminement. Néanmoins, il faut noter que même si le joueur a le choix sur le déroulement de l’aventure, il reste sur les rails, car il doit suivre quand même l’intrigue.
GTA ne se focalise que sur le personnage et son évolution, l'histoire n'est pas l'objectif principal, mais un moyen de faire progresser notre avatar.
Le jeu évolutif, troisième prototype narrativisé du jeu vidéo est comme le récit ouvert, mais l’intérêt n’est plus porté sur l’intrigue, mais sur le joueur lui-même et sa progression. Il n’est plus guidé par une trame narrative simple ou multiple qui le mènera à une fin théorique du jeu. Il est laissé libre de ses actions grâce aux nombreuses interactions qu’il peut avoir.
Que ce soit entre joueurs, dans le cadre de MMORPG ou d’une intelligence artificielle, ce genre de jeu n’a généralement pas de fin.
Un bon exemple de ce type de narration dans le jeu est le cas GTA. Dans cette série de jeux, il faut accomplir une grande variété de missions pour pouvoir progresser dans le scénario et faire d’autres missions. Cependant, grâce au fait que les missions peuvent débloquer d’autres évènements qui peuvent influer sur le jeu, le joueur peut vagabonder à loisir dans l’univers. Il peut choisir d’intervenir dans le scénario quand bon lui chante, car celui-ci n’est pas linéaire, ou il peut tout simplement choisir de l’ignorer. L’intérêt de ce type de jeu est la progression de son personnage à l’infini sans tenir compte de la fin du scénario du jeu.
Le joueur, pierre angulaire de la narration ?
Minecraft Hunger Games est l'un des nombreux exemples de la plus-value d'un joueur dans l'univers vidéoludique.
Comparée au cinéma et à la littérature, la place du joueur, comparé à un spectateur ou un lecteur, est totalement différente. En prenant contrôle du personnage qui évolue dans un univers particulier, c’est lui qui décide comment cet avatar va subir une épreuve et la surpasser. En prenant contrôle du personnage, il devient acteur dans le récit vidéoludique et vit, s’il est impliqué émotionnellement, l’aventure du héros ou de l’héroïne qu’il incarnera. Dans le cas du jeu évolutif, en plus de pouvoir vivre l’aventure du protagoniste qu’il incarne, le joueur peut aussi devenir auteur du récit vidéoludique. En effet, dans les jeux bac-à-sable comme Minecraft, il n’y a pas d’intrigue, c’est au joueur de trouver un intérêt dans le jeu, créer des récits d’aventures, les raconter (via Youtube entre autres) ou même créer de nouveaux contenus afin de rendre le jeu un peu plus personnel, en se l’appropriant.
La narration dans le jeu vidéo reste un outil formidable qui, en plus d’associer une activité ludique, permet de raconter une histoire. Une histoire pour s’émouvoir, s’émerveiller. En utilisant les spécificités de ce média, l’intrigue y est présente, attachante et aussi personnelle, découlant de nos choix en tant que joueur, acteur et auteur du jeu vidéo.