L’hypersexualisation est apparue au début des années 2000 et s’est reproduite d’un médium à l’autre comme une mutation irréversible, jusqu’à aliéner l’ADN des jeux vidéo. A qui profite-elle ? S’agit-il d’une bonne stratégie marketing ? Permet-elle aux femmes de reconquérir leur sexualité ? Si l’hypersexualité exerce bien un pouvoir sur nos imaginaires, elle possède également des effets secondaires. Quel prix êtes-vous prêt à payer pour y avoir recours ?
Un personnage attirant est-il forcément hypersexualisé ?
L’hypersexualisation survient lorsque les attributs sexuels d'un personnage sont sa principale caractéristique. Les autres aspects de son identité passent alors au second plan. Les attributs sexuels ne se limitent pas aux organes génitaux. Il peut également s'agir d'un torse saillant ou d'une poitrine généreuse, d'un fessier rebondi ou encore de lèvres pulpeuses. Il ne suffit néanmoins pas qu’un personnage bénéficie d’une physionomie avantageuse pour qu’il soit hypersexualisé.
La majorité des personnages jouables correspondent à un idéal de beauté occidental : silhouette athlétique, pilosité soignée, peau immaculée, jeunesse, etc. Si cette homogénéité soulève également des controverses, ce n’est pas elle que nous nous proposons d’interroger. L’hypersexualisation survient lorsque les attributs sexuels d’un personnage sont soulignés par ses vêtements, ses mouvements lors des cinématiques ou l’angle de la caméra. Des dialogues sulfureux et des bruitages évocateurs peuvent accentuer ce procédé.
L’hypersexualisation affecte-elle indifféremment les personnages masculins et féminins?
Les personnages sont soumis à des représentations qui renforcent des stéréotypes de genre déjà présents dans la culture occidentale. On les retrouve en abondance dans les médias et le discours des institutions. Les schémas appliqués aux personnages masculins et féminins ne sont néanmoins pas identiques.
L'hyper-virilité
L'hyper-masculinité reprend fréquemment les attributs de la bestialité. Les rugissements que poussent certains personnages au combat sont extrêmement explicites à cet égard. On retrouve aussi cette animalité dans l’apparence hybride des avatars disponibles dans les MMORPG. Cette hyper-masculinité n’est néanmoins pas nécessairement sexualisée puisqu’elle n’a pas vocation à susciter le désir chez les joueuses. Elle est destinée à créer un lien d’affect qui permettra au joueur de s’identifier au personnage. L'expression faciale stoïque et le mutisme de ces personnages sont censés les rendre crédible dans leur rôle de mercenaire. Très critiquable, cette approche du character design reproduit des injonctions sociales qui imposent aux hommes de demeurer imperturbables, pour ne pas dire impénétrables, tout en faisant la démonstration de leur puissance virile.
L'hyper-féminité
L’hyper-féminité peut, elle aussi, prendre différents visages, comme celui de la demoiselle en détresse. L’hypersexualisation est toutefois l’une de ses formes les plus répandues. Il suffit de mentionner deux des héroïnes de jeux vidéo les plus célèbres, Lara Croft et Bayonetta, pour illustrer ce procédé et ses enjeux. Les interprétations de l’hypersexualisation des personnages féminins sont diverses et des analyses adverses s’affrontent. Certains commentateurs considèrent que cette mise en scène relève de l’empowerment et qu’il s’agit d’une revendication du droit à exposer son corps et d’une forme de réappropriation d’un stéréotype. L’hypersexualisation servirait alors aux personnages féminins à s’affirmer dans un espace dominé par des figures masculines et des codes sexistes.
Ces personnages ne sont cependant pas des femmes mais des avatars dépourvus d'agentivité, c'est-à-dire de libre arbitre. Leur apparence n’est pas l’expression de leur volonté propre. Elle est un choix délibéré de la part de ceux qui les conçoivent. Il paraît dès lors significatif de rappeler qu’en 2017, 74% des développeurs de jeux vidéo étaient des hommes.
En somme, la représentation d’un personnage masculin hypersexualisé n’a pas le même effet que celle des personnages féminins. Il ne renforce pas un stéréotype de genre préexistant. La norme, dans nos sociétés occidentales, ne consiste pas à sexualiser le corps des hommes mais bien celui des femmes.
Quelles sont les conséquences de l’hypersexualisation des personnages féminins?
L’hypersexualisation des personnages féminins peut avoir des conséquences directes sur le gameplay et nuire à l’immersion des joueurs. Si les statistiques des personnages ne sont généralement pas affectées par la couvrance de leur armure ou de leur uniforme, les intitulés et les caractéristiques des aptitudes spéciales des personnages pâtissent de ce procédé. Cela en dépit des torsions narratives maladroites imaginées par les scénaristes pour justifier les choix des développeurs. On peut évoquer ici les incantations de Bayonetta qui la laissent nue pour transformer sa chevelure en démon.
Ces procédés, qui ne se contentent pas de frôler le ridicule mais l’embrassent pleinement, anéantissent la crédibilité de l’héroïne et la possibilité d’une identification intime des joueurs et des joueuses à ce personnage. Bayonetta n’est pas un personnage que l’on incarne avec passion. C'est un instrument qui permet aux joueurs de se mouvoir et d’agir à l’intérieur du jeu. Cela ne signifie pas pour autant que sa relation aux joueurs soit marquée par l’autonomie, la singularité et l’indépendance. Au contraire, Bayonetta, à l’instar d’autres héroïnes, existe et performe sa sexualité exacerbée pour un public cible composé d’hommes hétérosexuels.
L'heure du renouveau pour les personnages féminins ?
La perpétuation d’une échelle de valeur des héroïnes basée sur leur désirabilité et leur disponibilité symbolique est l’héritière d’une notion empruntée aux études cinématographiques : le male gaze. Ce concept décrit une pratique courante chez les producteurs de contenu visuel. Cette dernière consiste à adopter le point de vu d’un homme hétérosexuel en ciblant ses (supposés) centres d’intérêt. Autrement dit, le pouvoir des personnages féminins est systématiquement de nature érotique puisqu’il s’exerce avant tout sur et pour un regard masculin. Parce qu'elle banalise l’accès à des corps féminins érotisés, l’hypersexualisation contribue au climat de tension à l’intérieur des communautés de gamers en favorisant une certaine tolérance au harcèlement sexuel en ligne.
En s’adressant majoritairement à un joueur blanc, hétérosexuel et masculiniste, certains producteurs échouent à faire de leurs héroïnes des personnages stimulants pour un panel de joueurs hétérogène. En France, en 2014, près de 43% des joueurs de jeux de rôle ou d’aventure étaient des femmes. D’autres genres vidéoludiques, comme les jeux d’action ou de combat, peinent malgré tout à convaincre cette population en quête de modèles féminins qu’elle puisse reconnaître et s’approprier. Les enjeux de la représentation sont primordiaux pour les éditeurs qui entendent conquérir de nouveaux marchés et perdurer. Cela, certains studios comme Ubisoft, avec Child of light, ou Dontnod Entertainment, avec Life is Strange, l’ont bien compris. Espérons que d’autres sauront suivre ces exemples et se montrer à l’écoute de leur communauté de joueurs pour renouveler le character design de leurs personnages.